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La méditation est-elle souhaitable pour les enfants ?

03/03/2016 | La chronique de Jacques de Coulon

Depuis des décennies, je pratique la méditation avec des élèves et l’emploi du mot n’a jamais posé problème, ce d’autant plus qu’il est aussi utilisé par Descartes ou par Husserl, philosophes et scientifiques incontestés. Certains pensent que la méditation ne devrait pas être proposée dans les écoles car elle serait trop difficile pour les enfants. Mais tout dépend de ce qu’on entend par méditation. S’agit-il du sens général du terme ou de dhyana, la septième étape des Yoga sutras de Patanjali qui est quasiment un aboutissement et représente le sommet de la méditation ?

Commençons par la méditation au sens large ! Nous la définirons étymologiquement. Méditation dérive du verbe latin mederi qui veut dire « prendre soin » et qui a aussi donné en français le mot « médecin ». On trouve également dans « méditation » la racine med signifiant « milieu ». En tenant compte de ces deux étymologies, on arrive à cet énoncé : la méditation consiste à prendre soin de soi en allant vers le cœur de l’être, notre centre profond. S’épanouir pleinement en élargissant sa conscience par un travail sur soi : tel est l’objectif de la méditation mais aussi du yoga ! Dans cette optique, les mouvements conscients accompagnés du souffle, la rotation de la conscience dans les parties du corps ou l’observation de la respiration à différents étages, pour ne citer que ces exemples, sont déjà des formes de méditation. Grâce à ces pratiques, on prend indéniablement soin de soi en se recentrant. La simple alliance du geste, du souffle et de la conscience relève déjà de la méditation. Il en va évidemment de même pour la pratique du mandala ou pour les exercices de visualisation qui nous acheminent vers le centre en harmonisant notre être.

Edmund Husserl, fondateur de la phénoménologie, se situe dans le sillage de Descartes dans ses Méditations cartésiennes, titre de l’un de ses principaux ouvrages. La méditation, dit-il, nous fait remonter à la source de notre conscience après avoir mis successivement entre parenthèses les différents plans de réalité : le monde extérieur, le corps, les pensées… Que reste-t-il ? Un pur « je suis », comme chez Descartes. Relisons Husserl : « La mise entre parenthèses du monde est la méthode par laquelle je me saisis comme moi pur, avec la vie de la conscience pure. » [1] J’ai souvent pratiqué cet exercice de ressourcement avec mes élèves en leur demandant de se déconnecter progressivement de leur environnement (notamment leur écran) pour monter au sommet de leur montagne intérieure. Voici une brève transcription de cette méditation :

Assis, dos droit, prenez conscience des formes et des couleurs autour de vous puis fermez les yeux en vous détachant de l’extérieur.
Ressentez votre corps dans l’espace de cette salle : pieds, genoux, fessiers, mains, épaules, visage, sommet de la tête, tout le corps.
Observez quelques instants votre souffle dans les narines, sans le modifier.
Visage détendu, regardez la légère luminosité qui filtre à travers vos paupières dans l’espace frontal.
Soyez maintenant témoin du défilé de vos pensées et de vos perceptions. Qui est ce témoin ? Où se situe-t-il ? Vous constatez qu’il n’est pas un objet devant vous. Il est toujours en amont de toute représentation. C’est votre Point source.
Revenez progressivement vers l’extérieur : luminosité frontale, souffle, corps…
Cet exercice de méditation phénoménologique s’adresse certes à des lycéens. Mais le simple fait de fermer les yeux pour se débrancher de l’extérieur puis d’observer son souffle ou l’image rémanente de la flamme d’une bougie dans l’espace frontal est déjà une pratique méditative au sens de Husserl. Elle est accessible aux enfants.

Venons-en à dhyana, mot sanscrit traduit par « méditation » ! Ce terme a donné par contraction tchan en chinois puis zen en japonais. Pratiquer les différentes méthodes du zen, c’est donc s’adonner à dhyana, la méditation : par exemple s’asseoir le dos droit et observer sa respiration dans l’abdomen (zazen) ou accomplir des gestes en pleine conscience comme dans la cérémonie du thé. C’est exactement ce que nous proposons à nos élèves quand nous leur demandons d’être témoins de leur souffle ou d’entrer en classe en étant attentifs à chaque mouvement.

Et chez Patanjali ? Le Sutra III.2 définissant dhyana comprend les deux mots suivants : pratyaya, contenu de conscience et ekatânatâ, continuité du flux de l’attention. D’où cette traduction inspirée notamment de Swami Satyananda : dhyana consiste à maintenir un flux ininterrompu de conscience sur un seul contenu. N’est-ce pas ce que nous faisons lorsque nous demandons par exemple aux élèves de se concentrer sur le centre d’un cercle de couleur, sans penser à autre chose, puis de revoir ce cercle à l’intérieur de l’espace frontal, sous forme d’image rémanente ? N’est-ce pas aussi ce que les enfants vivent quand ils se recentrent sur leur souffle, voire sur une partie de leur corps ? Seule différence avec dhyana de Patanjali : la durée. Nous ne poussons pas l’élève à contempler un grain de riz pendant un quart d’heure ou plus, de même que nous ne prônons pas de longues rétentions respiratoires. Ce serait contre-productif. L’enfant s’ennuierait vite et son mental se mettrait à vagabonder. C’est pourquoi, dans notre livre Le manuel du yoga à l’école [1], Micheline Flak et moi n’avons pas mis la septième étape de Patanjali. Nous avons cependant écrit un chapitre intitulé « Rassemblez vos forces comme un rayon laser » (p. 93) qui est déjà une introduction à dhyana. D’ailleurs, comme nous l’avons dit, dhyana chez Patanjali est une sorte d’accomplissement comprenant tous les niveaux précédents. Il ne faut pas voir les étapes des Yoga sutras comme des échelons séparés mais plutôt comme une pyramide dont le sommet repose sur la base.

En conclusion, à l’heure où la méditation connaît une vogue exceptionnelle grâce à ses effets positifs qui ont été démontrés scientifiquement, il serait dommage de s’en priver dans l’éducation des enfants. Il suffit de préciser qu’il s’agit de méditation au sens large.

[1]  Micheline Flak, Jacques de coulon, Le manuel du yoga à l’école, des enfants qui réussissent, Paris, Petite Bibliothèque Payot, février 2016 (réédition remaniée de Des enfants qui réussissent).

[1]  Husserl, Méditations cartésiennes, Paris, Vrin, 1969, trad. Emmanuel Levinas, p. 19.

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