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Chronique de Michèle Desrues – Schéma corporel et yoga (1ère partie)

14/12/2017 | Avis d'expert

Du corps subi au corps exprimé
A partir du livre  « La psychomotricité au service de l’enfant »

Bruno DE LIÈVRE ET Lucie STAES

Ed. De Boeck et Belin

 

Depuis sa création, le RYE est animé par une constante démarche de recherche sur les meilleurs moyens de transmettre le yoga aux enfants et aux jeunes. Sur notre site internet, nous donnons notamment la parole à différents spécialistes qui ont tous une expertise reconnue dans les milieux du yoga et de l’enfance. Michèle DESRUES – pédiatre et professeure de yoga – nous apporte dans cette chronique, un éclairage sur la notion de schéma corporel. Il s’agit du premier article de toute une série qui nous permettra de comprendre comment le yoga peut accompagner l’enfant à tout âge dans son développement.

Pour l’enfant qui se développe, le corps est un point de référence dans les activités de sa vie quotidienne : manger, s’habiller, jouer, s’orienter dans l’espace, se positionner par rapport aux objets, s’asseoir et écrire à l’école. Ainsi, sa découverte du monde et des autres passe par la découverte de soi et de son schéma corporel.

Le schéma corporel est la représentation que chacun se fait de son corps et qui  lui permet de se repérer dans l’espace à l’état statique et dynamique. Elle est fondée sur des données sensorielles multiples, qui sont internes (viscérales), externes (liées aux sens) et proprioceptives (position dans l’espace). La découverte du monde et des autres passe par celle de soi et de son schéma corporel.

Le schéma corporel n’est pas inné, mais se construit de façon progressive lors du processus de croissance de l’enfant. En effet, l’enfant développe son schéma corporel en fonction de ses structures corporelles, de ses perceptions et des interactions avec l’environnement. Il a une influence importante sur le développement de plusieurs sphères de l’enfant. Cela peut être au niveau psychosocial (émotions, image et estime de soi, personnalité, habiletés sociales), cognitif (compréhension des mots, apprentissages), perceptif et sensori-moteur (position spatiale du corps, habileté motrice, orientation et mouvements volontaires).

C’est entre 0 et 6 ans que l’évolution psychomotrice est la plus marquée. Elle implique ainsi cinq étapes qui, si elles sont ici présentées séparément, s’interpénètrent de façon permanente : le schéma corporel, la latéralité, la structuration dans l’espace, la structuration dans le temps, le langage et la pensée abstraite. La globalité du corps, n’est pleinement ressentie par l’enfant qu’après 6 ans. Ce n’est que quand l’enfant a intégré son propre schéma corporel qu’il pourra le transposer sur autrui et être à l’aise dans le monde environnant

 

Comment mieux comprendre la notion de schéma corporel ?
Voici une expérience.

 

Nous sommes face à un écran ou en train de lire …

Arrêtons-nous et ne bougeons plus.

Prenons conscience de notre position. Sommes nous assis ou allongés? Quelles sont les parties du corps qui touchent la chaise ou le sol ? Comme sommes-nous appuyés ? Les avant-bras sur la table ? Un ou deux pieds sur le sol ? Comment est notre respiration ? Régulière, profonde superficielle ?

 

Cette expérience nous permet de centrer notre attention sur nous-même, sur la connaissance que nous avons de nous-même de l’intérieur : la position des différentes parties du corps, les contacts du corps avec le monde extérieur, notre rythme personnel, en particulier respiratoire.


Ceci représente notre image interne, somesthésique et kinesthésique.

– Somesthésique : la peau est le siège du contact. Elle est à l’origine de sensations agréables ou douloureuses. Les articulations renseignent sur la position des segments et le système vestibulaire joue un rôle important dans la sensation « axiale », ce qui apporte la notion de sécurité.

– Kinesthésique : le mouvement automatique ou volontaire renseigne sur la situation du corps par rapport au monde extérieur.

 

Imaginons maintenant que nous devions sortir pour aller à un rendez-vous important. Si nous pensons être face à un miroir, quelle image allons-nous observer et recevoir ? C’est notre corps que nous voyons, une tête, deux bras, un tronc… Ces divers segments se situent toujours de la même façon les uns par rapport aux autres, mais les traits du visage sont personnels ainsi que les caractéristiques morphologiques (cheveux, taille…).

 

Ceci correspond à l’image visuelle ou externe que nous avons de nous même. Elle n’est que partielle (vue de face, statique…).

 

 

Comment réagissons-nous à notre image ?
 

Sommes-nous bien coiffés ? Notre visage correspond-il à ce que nous voulons présenter à l’autre ?

Nous avons une image visuelle et nous y réagissons positivement ou non.

Si nous sommes en accord avec cette image, nous sommes « bien dans notre peau », même si nous savons que nous ne sommes pas parfaits.

 

L’image interne + l’image externe + notre acceptation de celle-ci = Le schéma corporel 

C’est-à-dire la représentation et la connaissance que nous avons de nous même.
 

 

 

Comment accompagner l’enfant dans la mise en place de son schéma corporel ?
 

Comment le yoga peut-il être utile ?
 

Le développement psychomoteur est bien connu des enseignants. D’ailleurs, toute la pédagogie scolaire, essentiellement des classes maternelles, est basée sur les étapes de ce développement.

Le yoga ne va rien proposer de particulièrement nouveau. Mais les exercices dits de psychomotricité peuvent être repris avec l’esprit du yoga : respect, bienveillance, partage, absence de compétition…

L’objectif est que l’enfant éprouve son corps, en fonction des possibilités de son âge,   afin d’apprendre à le respecter et respecter celui des autres.

 

Comme l’homme est un être psychomoteur, cela veut dire qu’à chaque instant, nous nous exprimons avec notre corps, dans un espace donné et à un moment bien précis dans le temps.

D’où l’importance de « matérialiser » ce lieu et ce temps du yoga :

 

Exemple :

– Passer par un « cercle magique » (cerceau)  ou une « rivière enchantée » (deux bâtons)…
– Débuter et finir le temps du yoga par un son (clochettes, bol, gong…)
– Déposer une fleur ou une mascotte (pour moi, c’est Kurma la tortue) à retrouver comme un fil conducteur.
 

L’enfant vient au monde avec un système nerveux et des ensembles sensoriels tout à fait immatures mais avec d’immenses potentialités. La maturation et le développement demandent la mise en œuvre d’un ensemble de phénomènes extrêmement complexes qui sont à la fois, bio-anatomiques, psychologiques et sociaux. C’est sur la base d’un équipement initial (intégrité neurologique, potentialités sensorielles) que va se dérouler un « plan préétabli ».

 

Le schéma corporel est donc la connaissance que l’on a de soi en tant qu’être corporel, c’est à dire :

– Nos limites dans l’espace (morphologie)
– Nos possibilités motrices (rapidité, souplesse…)
– Nos possibilités d’expression à travers le corps (attitudes, mimiques)
– Les perceptions des différentes parties du corps
– Le niveau verbal des différents éléments corporels
– Les possibilités de représentation que nous avons de notre corps (au point de vue mental ou au point de vue graphique).
 

La maturation du schéma corporel peut ainsi être reconstituée :

 

(Les âges ne sont qu’indicatifs et ne représentent pas des repères absolument précis) 

 

 

De 0 à 3 mois :
 

1.Le corps subi
Cette étape est très limitée dans le temps. L’enfant « subit » sa vie. Ce n’est pas lui qui choisit ses actes ni les réponses à ses besoins.

 

 

De 3 mois à 3 ans :
 

2. Le corps vécu
Lors de cette étape, l’enfant se mobilise en fonction du but à atteindre. C’est le début d’une connaissance corporelle, mais de façon encore fragmentaire.

 

 

De 3 à 7 ans :
 

3. Le corps perçu
L’enfant développe ses sensations et en prend conscience.

 

 

4. Le corps connu
L’enfant apprend à connaître son corps :

connaissance des parties du corps : les termes tels que bras, jambes…
orientation corporelle : connaissance des positions des parties du corps
organisation corporelle : possibilité de réaliser un mouvement complexe
 

C’est par le langage et le graphisme que nous pourrons vérifier si ces acquisitions sont faites.

 

 

5. Le corps exprimé
L’enfant exprime ses émotions et ses idées par l’intermédiaire de son corps. Et cela ira bien au delà de la période de l’enfance.

 

 

6. Le corps maîtrisé
L’enfant évolue sur le plan moteur et il maîtrise de plus en plus ce potentiel moteur.  Cette partie du schéma corporel recouvre toutes les périodes de la vie de l’enfant et sera reprise lors de toute activité de prise de conscience d’un apprentissage moteur (donc également chez l’adulte). Dans cette chronique sur le schéma corporel, nous irons jusqu’au « corps maîtrisé », étape qui mérite son propre développement. Chaque étape possède ses apprentissages propres.  Il faut encore et toujours souligner le rôle particulièrement important que joue l’expérimentation de façon positive avec l’entourage. L’enfant a besoin de quelqu’un qui ressente et partage l’émotion de ses progrès et de ses découvertes.

 

Tout apprentissage trouve sa base dans l’expérience et chez l’enfant, ces expériences sont de l’ordre du vécu corporel. Ce vécu va se marquer petit à petit dans sa mémoire affective puis intellectuelle, pour aboutir petit à petit vers une connaissance plus abstraite.
 

Expérience corporelle —————→ Affectivité —————→ Intellect

 

Quel que soit l’âge et même au début de l’adolescence, l’enfant trouve et retrouve du plaisir à revenir aux  expériences corporelles vécues et aux jeux dits de la petite enfance.

En tant que pratiquants ou enseignants de yoga, nous repérons bien chez certains adultes, des limites à la coordination, la latéralité, l’équilibre, etc. Par la pratique, il est toujours possible, à tout âge, d’y revenir et de se perfectionner…

 

Nous allons voir à présent quelques exemples de pratiques à proposer pour « balayer » toutes ces étapes et accompagner l’enfant. Rappelons-nous qu’il faut pratiquer avec lui et avec plaisir, car il va d’abord et pendant longtemps imiter la personne qu’il aime bien…

 

 

I/ Le corps subi
Le petit bébé subit son corps ; il a des impressions agréables ou désagréables orientées vers la nourriture, le sommeil et le confort. Sa motricité est réflexe, avec les membres hypertoniques et le tronc hypotonique.

Il est important de noter que c’est la seule étape sur laquelle il sera impossible de revenir d’où la grande importance du maternage qui doit venir combler les besoins primaires.

 

II/ Le corps vécu
Nous parlerons de corps vécu chaque fois que nous mettrons le corps en action de façon globale pour donner une variété d’expériences motrices. Les parties du corps seront mises en action, pour atteindre un but.

Par exemple :

Attraper ou aller chercher quelque chose, monter, grimper, ramper, etc.
Toute partie du corps non mobilisée va rester mal connue par l’enfant.

 

III/ Le corps perçu
Dans cette étape, nous allons insister sur la prise de conscience du « senti » de l’enfant : type de sensation, localisation de la sensation… Nous allons favoriser les sensations internes et proprioceptives (positions relatives des parties du corps) pour aider l’enfant à percevoir son corps.

 

Ex. :

– Lors d’une marche à genoux, insister sur la perception des genoux sur différentes matières : le sol dur, un tapis, deux tapis…
– Demander à l’enfant de montrer où une balle l’a touché : pied, jambe, genou.
– Tapoter la table avec le coude, la main.
– Jeu du « courant électrique » : en cercle en se tenant  les mains, percevoir le courant dans la main serrée et le faire passer dans l’autre main.
 

 

IV/ Le corps connu
a. Connaissance des parties du corps
L’enfant passe d’une connaissance  et d’une perception globales de son corps, à une connaissance des différentes parties et à la verbalisation corporelle. La dénomination des parties du corps favorise la prise de conscience de celles-ci. C’est une étape importante dans la représentation mentale du corps.

C’est aussi au cours de cette étape que l’enfant va représenter un corps par le dessin ou reconstituer un pantin à partir de ses éléments. C’est la période de l’évolution du dessin du bonhomme.

 

Ex. :

Sur lui-même, l’enfant est capable de montrer les différentes parties du corps :

– « Montre tes cheveux »
– « Pose ta main sur ton genou »
– « Savez-vous planter les choux avec… » (comptine)
Sur un autre enfant ou une poupée :

– « Pose ta main sur sa tête »
– « Place les genoux de la poupée sur la table »
– Marcher en file indienne en tenant une cheville de l’enfant devant soi, ou une main sur son épaule ou une main sur le genou de l’enfant derrière …
 

 

b. Orientation corporelle
L’enfant apprend les différentes positions corporelles. Il va aussi observer que les parties de son corps ont une orientation précise : la main droite est différente de la main gauche, la chaussure droite ne convient pas au pied gauche. Il observera aussi que les parties de son corps ont une dimension précise : la cuisse est plus grosse que la jambe, la cheville est plus fine que le genou.

La prise de conscience des positions est une étape importante car elle sous-entend la possibilité de distinguer les orientations dans l’espace (cf. l’apprentissage de l’écriture).

 

  Ex. :

– L’enfant prend la même position que celle de l’animateur : agenouillé-assis-talons, debout jambes écartées…
– L’enfant se place suivant une consigne verbale : couche toi sur le dos, genoux pliés, pieds au sol – lève un bras, accroupis toi, baisse le bras, remonte…
– « 123 Piano » : à l’arrêt de la musique : poser son doigt sur son nombril, se tenir les deux oreilles, poser ses mains sous ses pieds…
– Même dans le temps du yoga, on peut lui faire dessiner un bonhomme un bras et/ou une jambe levés…
 

 

c. Organisation corporelle
L’enfant prend conscience de son corps en mouvement et il peut l’adapter à différentes circonstances.

 

Ex. :

– Inventer un geste ou trouver différentes façon de passer un obstacle : passer sous un tabouret étroit, trouver trois façons de passer dans un cerceau, dans un tunnel…
– « Jacques a dit :… »
 

 
d. Le corps exprimé
Le corps est, dans ses attitudes et ses mouvements, ce par quoi j’apparais et je m’exprime à autrui. Il faut donc favoriser les situations dans lesquelles l’enfant peut s’exprimer par son corps.

Ex. :

– Se déguiser, trouver des attitudes, la démarche de personnages (agent de    police, chanteuse, maman, …)
 

– Mimer une scène : « jouer à la maîtresse »…
– Imiter des animaux : leur démarche, leur cri…
– Exprimer avec son corps différentes activités, différents sentiments…
 

 

e. Le corps maîtrisé
Cette étape montre comment le corps doit pouvoir répondre correctement aux désirs de l’individu. Il doit pouvoir s’adapter au contexte environnant.

Il comprend :

La fonction posturale, tonus et équilibre
La coordination
La respiration
La sensibilité
 

Ce sera l’objet de notre prochaine chronique.

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