« Je réaffirme l’école comme la mère de nos batailles » affirme Gabriel Attal, nouveau Premier Ministre. Et d’ajouter : « J’emmène avec moi à Matignon la cause de l’école ». Il a totalement raison ; heureusement qu’il existe encore de jeunes politiques animés de si hautes perspectives ! C’est en effet par l’éducation que nous pourrons construire un avenir plus juste et plus vivable. Oui, l’école est bel et bien la « mère des batailles » contre l’ignorance, contre l’obscurantisme des intégrismes et des complotismes, mais aussi contre toute forme de violence. Elle est le lieu d’apprentissage de l’esprit critique et du dialogue, fondements de la citoyenneté et de la démocratie.
Encore faut-il de bons « capitaines » pour mener ce combat. Telle est la fonction essentielle des professeurs. En amont de toute réforme de l’éducation, il y a la formation des enseignants. Dans une société où les repères républicains tendent à s’effacer au profit d’idéologies extrémistes ou tout simplement face au Veau d’or nous sommant de consommer, n’est-il pas urgent que nos enfants puissent s’appuyer sur des enseignants qui les éclairent ?
Le yoga que nous avons introduit au RYE s’adresse d’abord au professeur pour lui donner les moyens d’accomplir sa tâche dans un monde déboussolé. La pratique du yoga lui permettra de faire le plein d’énergie pour affronter des vents contraires et de développer la confiance en soi. Elle lui apprendra aussi à se ressourcer et à se détendre en prenant de la distance, prévenant ainsi le burn-out. C’est pourquoi le yoga devrait faire partie intégrante de la formation des enseignants.
Chez Patanjali, la valeur centrale du yoga s’appelle ahimsa, mot traduit par non-nuisance ou non-violence. Ahimsa ouvre la voie du yoga et se situe en tête de la première étape des Yoga-Sutras. Elle est la première des règles à observer et contient toutes les autres, nous dit Patanjali. Elle se base sur le respect de l’autre et fut la ligne directrice d’un Gandhi.
Ahimsa se trouve aux antipodes d’un monde où règne la loi du plus fort. On assiste en effet aujourd’hui à une médiatisation de la violence, qu’elle soit verbale ou physique. Les rapports entre les plus hauts dirigeants du monde sont régis par la force. Pensons à Poutine, à Netanyahou et à bien d’autres leaders qui ne cherchent à s’imposer que par la violence. Quant à Trump qui envahit nos écrans ces temps-ci, il suffit de l’entendre parler pour savoir qu’il n’est pas un disciple de Gandhi ! Et lorsqu’on regarde les « débats » à l’Assemblée nationale, nous n’assistons guère à un spectacle de respect mutuel entre citoyens ! Quelles sont les personnes faisant autorité sur les réseaux sociaux ? Souvent des blogueurs ou des « musiciens » hyperviolents ! Le professeur, figure d’autorité, s’est trop souvent fait remplacer par des furies aux propos haineux.
Bref, les jeunes générations baignent dans un climat de violence et d’imprécations venu des plus hautes sphères du pouvoir et de la Toile. Comment leur apprendre ahimsa à l’école ? Cette exigence ne pourra se réaliser que grâce aux enseignants. D’où ce défi essentiel : comment faire pour que le professeur redevienne une figure d’autorité et un exemple à suivre pour ses élèves ? Comment le corps enseignant retrouvera-t-il une véritable crédibilité ? Il convient d’abord de changer la conception que l’on a de l’enseignant en abandonnant la vision lénifiante et bisounours d’un simple animateur qui se place au niveau de ses élèves en les flattant dans le sens du poil.
Durant des décennies, on a voulu « placer l’élève au centre ». L’intention était louable mais, comme dit l’adage, « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». À force de vouloir mettre l’élève sur un piédestal, nous l’avons transformé en enfant-roi désirant satisfaire tous ses caprices. Il s’est alors parfois mué en tyran, l’enseignant devenant pour lui un simple fournisseur de prestations dont l’influence ne peut aller qu’en diminuant puisque l’élève trouve maintenant presque tous ces services sur la Toile sur laquelle il s’imprègne aussi des « modèles » à suivre, bien plus attrayants pour ses pulsions que son professeur.
Cette conception de l’éducation s’enracine dans la philosophie de Platon. L’enfant aurait en lui la science infuse. Il suffirait alors de réveiller ses connaissances oubliées qu’il aurait déjà vues dans un monde idéal avant sa venue au monde. L’enseignant devient ici un accoucheur d’idées en titillant l’esprit de ses élèves par des questions appropriées et en les laissant s’exprimer le plus librement possible. Telle est la méthode socratique décrite par Platon. Apprendre, c’est se ressouvenir. Rien de nouveau sous le soleil de l’école !
Malgré le prestige de Platon, je préfère la simplicité d’Aristote. Pour lui, à la naissance, l’esprit humain se présente comme « une table rase ». Il peut certes connaître mille notions mais il a besoin de les acquérir de l’extérieur, grâce à un enseignant qui les tiendra lui aussi d’autrui. L’apprentissage devient un voyage passionnant. Il s’agit de sortir de soi pour explorer des terres inconnues. Emmanuel Levinas exprime bien cela : "Un élève est un être dont l'existence même consiste dans cette incessante réception de l'enseignement" [1]. Levinas entend restaurer le prestige de la Maîtresse ou du Maître qui enseigne sa maîtrise à ses élèves dans le but de les élever vers un niveau supérieur en sortant de l’ignorance.
Bien des pédagogues partagent cependant encore le point de vue de Platon L’enseignant se transforme alors en animateur. A quoi bon transmettre quoi que ce soit aux élèves ? Ils savent déjà tout. Il suffit d'exploiter les trésors de sagesse qui dorment dans l’enfant roi. On s’extasiera ainsi devant la moindre opinion de l’élève. Argumentée ou non. Une seule règle : ne jamais contrarier le petit roi. Il pourrait alors ravaler ce qu’il exprime et tout le monde sait que le refoulement rend malade !
Au nom de ce principe, toutes les opinions sont hissées sur un piédestal. De simples réactions émotives se trouvent ainsi érigées en vérités quasi absolues. Si l’école refuse de transmettre une culture aux élèves, ce sont les médias les plus accrocheurs qui se chargeront de le façonner à l’image des modes.
Maître : le mot est lâché et il heurte bien des gens qui refusent toute notion de hiérarchie. Mais il ne s’agit pas ici d’une différence de dignité entre le professeur et l’élève. Si je me lance dans une excursion en haute montagne, je suis d’accord de suivre les consigne d’un guide capable de me sauver la vie, sans me sentir pour autant atteint dans ma dignité. J’accepte simplement sa compétence pour me mener vers le sommet et si je le conteste sans cesse, nous risquons la chute. Ainsi en est-il du professeur : il conduit l’élève hors de l’ignorance en lui permettant de se dépasser. Tel est d’ailleurs le sens-même du mot « éducation » venant du latin educere, composé du préfixe ex (hors de) et de verbe ducere (conduire). Eduquer, c’est guider l’enfant vers les sommets de la civilisation et de la culture en le faisant sortir de l’immédiateté de ses pulsions. L’enseignant est donc bien plus qu’un simple animateur.
En Inde, Maître se dit « gourou ». Rien à voir avec le « gourou » bouffi d’orgueil à la tête d’une secte qui est une déformation grossière du terme « gourou ». Ce mot vient des racines sanscrites Gu (l’obscurité) et Ru (la lumière). Le gourou, véritable maître, fait donc passer son élève de l’ombre à la lumière, comme le guide de montagne qui nous conduit hors du brouillard vers la clarté des cimes. D’autre part, le signe distinctif d’un authentique gourou, c’est de rendre son disciple autonome le plus vite possible et non de l’assujettir comme dans une secte totalitaire. Il n’est qu’un guide passager, l’élève doit ensuite voler de ses propres ailes. Cependant, pour progresser, l’adepte accepte l’autorité du maître qu’il prend pour modèle.
Un authentique professeur devrait montrer l’exemple. Prenons le domaine vestimentaire : le ministère de l’Education nationale a raison d’interdire le port du l’abaya, symbole de l’islamisme et d’une conception de la femme étrangère aux valeurs républicaines. Mais il faudrait aussi refuser d’autres tenues inappropriées, notamment chez le professeur. Il devrait s’habiller de manière neutre, décente et circonstanciée. Une école n’est ni un lieu de culte, ni un dancing, ni la plage !
Comme proviseur, il m’est arrivé plusieurs fois d’intervenir auprès d’un enseignant à propos de son habillement. Je me souviens notamment d’un professeur venu en classe en sandalettes et en short surmonté d’un T-shirt avec l’effigie d’un groupe de hard rock. Comment voulez-vous qu’il se fasse respecter de ses élèves et qu’il leur fasse comprendre le sérieux de l’école s’il se présente devant eux comme dans une rave party ?
« Il faut que le prof soit le patron dans sa classe. Sinon, c’est la gabegie et les élèves n’apprennent rien » : tel fut le conseil du recteur Jean Baeriswyl lorsque je fus engagé comme jeune enseignant. Il ajouta : « Ici, on aime bien nommer des têtes qui dépassent et qui sauront s’imposer par leur personnalité ».
Ce recteur donne la définition-même de l’autorité : Le mot vient du latin auctoritas dérivé de auctor, l’auteur, l’instigateur qui donne le ton. Celle ou celui qui a de l’autorité est donc l’inverse de la personne complexée, peu sûre d’elle-même, qui se met à crier au moindre problème et s’enferme dans l’autoritarisme en devenant cassante, voire tyrannique envers ses élèves. S’imposant par la force ou par le recours constant aux punitions comme à la direction de l’école, elle ne peut que s’exposer à une riposte violente tissée de haine.
Monsieur Baeriswyl avait raison : l’autorité naturelle s’enracine dans la personnalité du professeur. Elle émane de l’intérieur d’un être qui a su forger en lui-même son propre tempérament et qui est devenu auteur (auctor) de ses actes en sachant prendre des décisions et des responsabilités. L’autorité s’oppose donc aussi bien à la rigidité de l’autoritarisme qu’à la mollesse du laisser-aller. Ces deux attitudes extrêmes ne peuvent que couler l’école et l’élève.
L’autorité naturelle repose sur deux piliers : la compétence et la force de caractère. Rien n’est plus dévastateur pour un enseignant que des lacunes dans la discipline enseignée. Un professeur de mathématiques faisant des erreurs de calculs ou un professeur de langue des fautes de syntaxe ne pourront que susciter l’hilarité et le manque de respect chez leurs élèves. Le maître est d’abord censé maîtriser ce qu’il enseigne et doit être formé à cet effet !
Il convient aussi de cultiver les compétences personnelles et sociales des enseignants, condition sine qua non de leur autorité. Oui, mais comment ? C’est ici qu’intervient la pratique du yoga qui leur permettra d’acquérir cette assise intérieure, base de toute réussite dans l’enseignement.
L’enseignant se trouve de plus en plus souvent confronté à des classes difficiles et face à des élèves qui extériorisent leur violence. Comment acquérir les « armes » pour restaurer son prestige et faire en sorte que l’école demeure un lieu à l’abri des dérives de notre société comme des réseaux sociaux ?
La principale « arme » pour résister à toutes ces tensions est de se construire une « citadelle intérieure », selon l’expression des Stoïciens, un lieu où l’on pourra se ressourcer et retrouver de l’énergie. Sans cette citadelle, le professeur risque de s’épuiser sur le « champ de bataille » à l’extérieur et de prendre de nombreux coups qu’il ne pourra plus parer, faute de ressources internes. D’où l’importance de cultiver son intériorité et de savoir se positionner à la source de sa conscience et de ses perceptions.
Les Maîtres orientaux comparent notre centre profond, ce « point source », à un cristal ou à un miroir qui reflète l’environnement : les formes, les couleurs, les sons, les odeurs, les textures… Or la plupart du temps, nous nous identifions à l’objet ou à la situation perçue et nous souffrons beaucoup par manque de recul. Mais, comme l’écrit le sage chinois Tchouang-tseu « l’esprit est semblable à un miroir : il n’est pas affecté par les formes qu’il reflète ». En effet, un miroir peut réfléchir un incendie sans brûler lui-même. Or la plupart du temps, nous oublions que nous sommes aussi miroir et nous sommes persuadés d’être consumés par le feu !
On devrait donc laisser du temps aux enseignants pour la méditation et la réflexion au lieu de les mettre sans cesse sous pression. Un exercice tout simple consiste à prendre une pause pour s’observer : le corps, le souffle puis les pensées. Cette observation se fait depuis le sommet de notre « montagne intérieure », source de nos perceptions. Elle nous permet justement de nous ressourcer.
Le yoga offre de nombreuses pratiques permettant de renforcer l’intériorité et la confiance en soi. Par exemple, le yoga nidra et sa petite phrase positive nommée sankalpa. [2]
En voici un autre en guise de conclusion.
Pour vous ressourcer, cultivez en vous un jardin dans lequel vous viendrez faire le plein d’énergie. Ce paysage intérieur peut être fictif ou non. L’important, c’est qu’il vous plaise vraiment et qu’il corresponde à vos besoins profonds. Pour ma part, en cas de stress ou de fatigue, je me retire dans une réserve naturelle, au bord d’un lac. Je recrée le paysage dans mon esprit puis je me dirige d’un pas lent vers le bout du môle en écoutant le chant des oiseaux. Je m’émerveille des jeux de lumière dans les roseaux et des différentes tonalités de bleu à l’horizon. Au loin, les sommets enneigés des Alpes. Je me laisse caresser par le vent.
Vous aussi trouvez votre lieu de prédilection et revivez sa magie en vous ! Pour commencer, assoyez-vous, fermez les yeux et ressentez brièvement votre corps de bas en haut. Observez ensuite votre souffle sans le modifier à différents étages : l’abdomen, la poitrine, le nez. Prenez maintenant conscience de votre espace frontal et de la légère luminosité qui filtre à travers tes paupières détendues puis remplissez-vous du paysage préalablement choisi. Ne vous contentez pas d’être le spectateur d’un tableau mais impliquez-vous dans la scène et vivez-là intensément grâce à vos cinq sens : vous voyez, vous écoutez, vous touchez, peut-être même que vous sentez et que vous goûtez. Pour finir, ne sortez pas brusquement de votre refuge : reprenez conscience de l’espace frontal, de votre respiration puis de votre corps avant d’ouvrir les yeux et de vaquer de nouveau à vos occupations. Cet exercice peut être bref et réalisé presque en toute circonstance : dans un train, lors d’une pause au travail, avant de t’endormir… N’hésitez pas à le pratiquer. Il vous vivifiera.
[1] Emmanuel Levinas, Totalité et Infini, La Haye, Nijhof, 1961, p. 178.
[2] Le sankalpa est un mot sanscrit voulant dire « résolution ». Il s’agit d’une courte phrase positive traduisant un objectif à atteindre qu’on se répète avant de s’endormir ou de se détendre mais aussi le matin au réveil. On compare le sankalpa à une graine plantée dans notre esprit destinée à germer et à fructifier dans notre vie. Au RYE, nous ne l’utilisons pas avec les enfants : ce n’est pas à l’enseignant d’inculquer un sankalpa à ses élèves car on pourrait craindre une manipulation ou un endoctrinement. Chaque personne doit trouver elle-même son propre sankalpa. Par contre, nous recommandons l’utilisation du sankalpa pour les adultes et notamment pour les professeurs. À chacun de trouver la formulation qui lui convient. Seule règle : la phrase doit être brève et positive. Exemples de sankalpa : « J’ai de plus en plus confiance en moi » ou « Chaque jour, je vais de mieux en mieux » (maxime d’Emile Coué).